mardi, juillet 02, 2013

Portrait de Fabrice Pellerin, l'alchimiste des bassins.




PORTRAIT - Educateur touche-à-tout et intello, l'entraîneur des nageurs Yannick Agnel et Camille Muffat transpose, dans un livre, ses méthodes iconoclastes à la vie de tous les jours. 


Un entraîneur à succès qui se raconte dans un livre, cela arrive. Un entraîneur qui dévoile ses méthodes en prétendant qu'elles sont transposables dans la vie professionnelle ou affective de tout un chacun, c'est inédit, en France en tout cas. Accédez au sommet, le chemin est en vous : le titre un brin racoleur aurait sa place dans les rayonnages de développement personnel. "Il y a de ça, assume Fabrice Pellerin. Devenir champion olympique n'est pas plus noble que d'être un bon manager ou de réussir sa vie de famille. La singularité qui a permis à mes nageurs d'atteindre leur sommet, tout le monde l'a en puissance dans son domaine. L'idée est d'aider les gens en partageant ce que j'ai observé des comportements face à la réussite et à l'échec."
Lui incarne surtout la réussite. Avec neuf médailles (dont quatre en or) aux Jeux olympiques de Londres pour Yannick Agnel, Camille Muffat, Clément Lefert et Charlotte Bonnet, Pellerin est devenu le coach le plus titré du sport français aux JO. Les résultats ont légitimé un propos iconoclaste et un projet bâti dans l'intimité à Nice, son club "laboratoire", hors des pôles de référence soutenus par la fédération. De nouveaux nageurs, notamment étrangers, l'ont rejoint cette saison. Friandes de discours sur le succès, des entreprises l'ont invité à prêcher la bonne parole. Il a rencontré des directeurs d'agence Century 21 et des commerciaux de La Poste. Il en recevra d'autres cette semaine à Rennes, en marge des sélections pour les Championnats du monde.

Kinésiologie et conférences


"On m'y demande souvent s'il vaut mieux travailler ses points forts ou ses points faibles. Je réponds qu'il faut insister sur ses points uniques." Il donne l'exemple de l'arme secrète de Yannick Agnel, champion olympique sur 200 m et 4 x 100 m: un mouvement de tête imperceptible avant les virages qui accroît sa vitesse. "On l'a découvert en 2011, personne ne l'a noté jusqu'aux Jeux", révèle-t-il. Pellerin dit adorer l'exercice du conférencier, pas seulement parce qu'il est rémunérateur : "Il y a des similitudes avec le sport. Les managers sont seuls face à la pression. Si j'étais à Paris, je pourrais faire deux séminaires par semaine. Mais il faudrait que je change de métier. Or je prends du plaisir à être en claquettes au bord du bassin."

Ce fils de pompier n'en a connu qu'un, celui de la piscine Jean-Bouin de Nice, fréquentée dès 11 ans. Nageur de niveau moyen, il a cherché sa voie dans les études. Un peu de droit faute de pouvoir se payer l'école de cinéma de ses rêves, puis le professorat de sport (Staps), abandonné après deux ans avec l'angoisse d'être "enfermé dans le gymnase d'un collège à donner tous les jours un ballon aux élèves en jouant la montre". Son idée de l'éducateur ressemble davantage à son héros d'enfance: le professeur Xavier, le directeur d'école télépathe des X-Men, ces hommes mutants dotés de pouvoirs surnaturels. Ses camarades préféraient Spiderman ou Wolverine, plus glamour et musculeux, lui se régalait de ce drôle de superhéros chauve et paraplégique. "Le professeur X recueillait et formait les jeunes mutants. Je trouvais que c'était le plus merveilleux métier du monde."

C'est le sien depuis qu'on lui a proposé d'encadrer un groupe de gamins à l'Olympic Nice Natation, en 2000. "C'est là que je me suis rendu compte que j'adorais enseigner. C'était créatif, artistique et artisanal." D'autant plus qu'il a fait sa sauce de sa formation et de ses curiosités personnelles : la kinésiologie (étude des mouvements du corps humain) et le dessin pour décomposer le geste des nageurs, la neurobiologie et la philosophie pour comprendre le fonctionnement de leur cerveau. Son livre, construit à partir de milliers de notes compilées en secret depuis des années dans des cahiers et sur des Post-it, témoigne de ces influences hétéroclites.

L'alchimiste est exigeant à l'extrême. "Avec moi, on ne négocie pas, ou alors on s'en va", dit-il posément. Ce faux calme fracasse régulièrement chronos ou téléphones contre les murs, plus rarement sur la tête de ses nageurs. Yannick Agnel, débarqué à Nice à 14 ans, n'a pourtant pas le souvenir de l'avoir entendu hausser la voix à l'entraînement, "mais il peut t'envoyer balader avec poésie, c'est pire".

Car Pellerin a développé un goût pour les chemins de traverse. Il dit bazarder chaque année ses plans d'entraînement pour éviter la routine et créer de la nouveauté nécessaire dans un sport exigeant et ingrat, quitte à déstabiliser. "Inventer m'amuse et je prends un plaisir fou à donner la réponse inverse de celle qu'on attend", assure-t-il, gourmand. L'année dernière, il avait instauré des séances les dimanches et jours fériés. Cette saison, il laisse aussi les clés de la piscine à ses nageurs tous les mercredis. Seuls, ils sont libres de ne rien faire comme de se blesser à la musculation. "C'est une marque de confiance mais aussi un danger. Disons que ça nous maintient vivants, eux et moi."

Marc Aurèle et Pat Metheny


Pour le grand public, le coach de natation a les traits définitifs de Philippe Lucas, gouailleur en débardeur, fan de Johnny et du PSG. Tout son contraire physique et culturel. Lui préfère retenir leur essence commune: "Philippe a évolué aussi à contre-courant, en marge de la fédération et en allant très loin dans l'entraînement quantitatif. L'erreur, c'est surtout de vouloir faire du Lucas hier comme du Pellerin aujourd'hui."

Gourou prétentieux, Pellerin? Un commentaire régulièrement entendu ces dernières années au bord des bassins. Un peu moins depuis Londres. "En France, la frontière est ténue entre l'ambition affichée et la prétention perçue, regrette-t-il, conscient que son livre de commandements peut relancer les aigreurs. J'ai essayé de faire attention. Je ne dis pas que je sais, je fais part aussi de mes doutes. Mais, bon, je m'en fous…"
Il ne marche pas plus à l'émotion avec sa supposée secte. "On peut se confier à lui, mais ça reste toujours dans une relation entraîneur-entraîné, il n'y a pas d'amitié", témoigne Agnel, qui s'en satisfait. Il entretient volontairement le mystère sur sa vie affective, s'amuse des rumeurs : "Je suis épanoui mais je ne souhaite pas m'afficher. On gagne en force pédagogique en préservant le reste."
À 40 ans, Fabrice Pellerin continue à vivre "comme un étudiant" dans un petit appartement à la décoration minimaliste tendance fonctionnelle. Beaucoup de livres : neurosciences, histoire, philosophie chinoise et Marc Aurèle, mais pas de romans. "La fiction m'ennuie." Seule une belle guitare électrique orange, achetée à 25 ans avec l'argent d'un été à surveiller les plages, témoigne de son indéniable fantaisie. Une Ibanez comme Pat Metheny et Stevie Vai, deux des guitar heroes qu'il s'évertuait à singer ado.
Avec le cinéma, la musique est un de ses vieux rêves inassouvis. Il l'utilise parfois à l'entraînement de ses nageurs, immergés avec un mp3 étanche. Cadence, mouvement, respiration, les ponts sont naturels entre les deux univers, éclaire-t-il. D'ici à l'été, il enregistrera et publiera sur Internet trois morceaux qu'il a composés dans son coin, "entre jazz fusion, hip-hop et musique de film". Il cherche encore la voix qui pourrait l'accompagner. "En vous l'avouant aujourd'hui, j'en fais un but, daté. J'applique à moi-même ce que je prône en disant que le désir clairement annoncé est le premier moteur de la réussite." L'échec attendra. 
Accédez au sommet, le chemin est en vous, Michel Lafon, 219 pages, 15,95 euros.
source : jdd.fr

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